La pédagogie spécialisée, le parent pauvre du monitorage de l’éducation?

Mieux comprendre et mieux piloter notre système de formation sont des questions clé du monitorage l’éducation en Suisse. Mais qu’en est-il de la pédagogie spécialisée, un système longtemps ancré dans le modèle médical de l’assurance-invalidité? Est-ce que la pédagogie spécialisée est toujours le parent pauvre du monitorage éducatif? Le présent article apporte quelques éléments de réponse.

Comment et pourquoi mesurer l’éducation?

La définition de notre agence-sœur, le Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation (CSRE), qui vient de fêter ces 50 ans, donne les réponses suivantes à cette question: «Le monitorage de l’éducation consiste à collecter et à traiter, de manière systématique et sur le long terme, des informations relatives à un système éducatif et à son environnement. Il sert de base à la planification de l’éducation et aux décisions en matière de politique éducative, tout en rendant compte de l’état d’un système éducatif et en alimentant le débat public.» Depuis 2006 le CSRE publie en principe tous les quatre ans un rapport sur l’éducation en Suisse.

Quelle est la place de la pédagogie spécialisée dans les rapports sur l’éducation en Suisse?

De manière très heuristique, j’ai compté le nombre de fois que les termes «enseignement spécial», «enseignement spécialisé» ou «pédagogie spécialisée» apparaissent dans les cinq rapports sur l’éducation en Suisse (2006, 2010, 2014, 2018 & 2023). Les occurrences dans les abréviations, la table des matières et la bibliographie n’ont pas été comptées. Le résultat est intéressant mais pas surprenant, parce qu’il se laisse assez facilement interpréter. De 1959 à 2007, la pédagogie spécialisée et l’enseignement spécialisé relevaient du champ de compétence de la Confédération, et plus précisément de l’assurance-invalidité (AI).

Du coup, jusqu’en 2007, le monitorage de la pédagogie spécialisée se faisait dans le cadre des statistiques relatives à l’invalidité. S’agissant de données individuelles de type médical, notamment de données diagnostiques sensibles, elles étaient à juste titre beaucoup plus protégées que celles relatives à l’éducation (cf. art 14 de la loi sur la statistique fédérale et art. 6 de la loi fédérale sur la protection des données). La cantonalisation de la pédagogie spécialisée, prévue en 2007, était une préoccupation importante dans le rapport de 2006. Il fallait sortir les assurées et assurés invalides mineurs du modèle médical de l’AI et les insérer dans des modèles pédagogiques cantonaux. Avec le concordat sur la pédagogie spécialisée de 2007, ces mineures et mineurs invalides sont devenus des élèves à part entière ayant des besoins éducatifs particuliers. Ce changement paradigmatique radical posait cependant toute une série de nouveaux défis au niveau du monitorage de l’éducation spécialisée. C’est pourquoi la Confédération (SEFRI/OFS) et les cantons (CDIP) ont décidé de moderniser la statistique de la formation (2007, 2009). Le fait, à juste titre, d’abandonner la mention du diagnostic médical (code des infirmités congénitales de l’AI) dans la statistique sur l’éducation conduisait cependant à un appauvrissement des données statistiques disponibles (cf. rapport sur l’éducation de 2010 et 2014). Le rapport de 2018 est celui qui parle le plus de la pédagogie spécialisée et aborde le projet de la modernisation de la statistique en la matière, même si l’OFS ne publiera les premiers résultats du nouveau relevé, portant sur l’année scolaire 2017/18, qu’en 2019. Finalement, le nombre d’occurrences dans le rapport de 2023 suggère une baisse de la présence de la thématique, mais cette baisse est inexacte, car la CDIP et le SEFRI ont commandé un rapport complémentaire sur le monitorage de l’éducation spécialisée, qui fut publié en 2021 par ma prédécesseuse Beatrice Kronenberg.

Quelles sont les dimensions de la statistique de la pédagogie spécialisée modernisée?

La nouvelle statistique de la pédagogie spécialisée distingue trois dimensions : la forme d’enseignement, c’est-à-dire le lieu de formation (classe ordinaire, classe particulière dans une école ordinaire ou classe d’une école spécialisée), l’obtention de mesures de pédagogie spécialisée renforcées et l’adaptation du programme d’enseignement, c’est-à-dire des objectifs d’apprentissage. Parmi les classes particulières, nous trouvons les classes d’introduction, les classes pour élèves allophones ainsi que les autres classes particulières, telles que les classes à effectif réduit ou encore les classes de développement, selon les offres cantonales (CDIP, 2024). Une mesure renforcée est attribuée en cas de besoins éducatifs particuliers avérés liés à une déficience ou à un handicap. Elle est dispensée dans une classe ordinaire, dans une classe particulière ou dans une classe d’une école spécialisée. La fréquentation d’une école spécialisée est considérée en soi comme une mesure renforcée, car elle a des conséquences marquantes sur le parcours de formation (art. 5, al. 2, let. d., du concordat sur la pédagogie spécialisée). 

L’OFS dispose maintenant de données modernisées sur une période de sept ans. Une telle durée ne permet pas encore de faire des analyses longitudinales des parcours d’études des élèves, mais elle met déjà en lumière certaines évolutions:

Taux d’adaptation du programme d’enseignement

Tableau 1: Données de la nouvelle statistique de la pédagogie spécialisée dans le domaine de la scolarité obligatoire

Une analyse détaillée des données sur la pédagogie spécialisée se trouve dans mon dernier article (Lanners, 2025).

Conclusion: un parent pauvre?

Ces quelques lignes montrent que le monitorage de l’éducation spécialisée n’est pas un parent pauvre. Il est juste passé par une période de transformations importantes, du médical vers le pédagogique. Un dernier chantier ouvert reste le relevé complémentaire des domaines de développement pouvant présenter un besoin éducatif particulier renforcé. Ce nouveau relevé, élaboré sous la direction de la CDIP, le SEFRI et l’OFS et coordonné par le CSPS, se trouve actuellement en phase pilote.

Si vous avez un intérêt pour le monitorage de l’éducation spécialisée, je vous invite cordialement à participer à notre 2e après-midi d’échanges entre chercheuses et chercheurs en pédagogie spécialisée, spécialistes du monitorage de l’éducation et les représentantes et représentants de l’administration. Ce colloque coorganisé par la CDIP, le SEFRI et le CSPS aura lieu l’après-midi du 22 septembre à la Maison des cantons à Berne. Vous trouverez toutes les informations sur notre site web.

*Les opinions exprimées par les auteurs invités ne reflètent pas nécessairement la position de la CDIP.